mardi 7 février 2017

Détective : fabrique de crimes ? BiLiPo, 20 janvier-1er avril 2017

Si toi aussi tu as croisé chez ton libraire le très étonnant Les Forces de l'ordre invisible, il est possible que tu aies remarqué le style narratif très marqué des pages tirées de Détective.
Il est aussi possible que tu habites près d'un kiosque à journaux et que tu passes régulièrement devant les affiches racoleuses du Nouveau Détective.
Mais tout cela ne te dit pas ce qu'est ce titre, d'où il vient, et pourquoi on peut se réjouir que la Bibliothèque des Littératures Policières aie numérisé sa collection, accessible sur le site CriminoCorpus.
Heureusement, l'exposition en cours t'en apprendra plus.

Un ancêtre de Détective.

Vers la fin des années 20, Gaston Gallimard cherche à équilibrer les comptes de sa maison d'édition (selon le principe raconté par André Schiffrin dans L'édition sans éditeurs : on publie des titres commerciaux pour financer les oeuvres plus exigeantes, comme la revue NRF et la collection Blanche). Pour cela, il envisage de profiter de la popularité de la littérature de gare et de l'engouement pour les faits divers. Avec Georges Kessel (frère de), il rachète donc Détective, feuille professionnelle tenue par l'authentique détective Ashelbé, et monte une rédaction avec quelques bons auteurs maison, parmi lesquels Joseph Kessel, Francis Carco et Pierre Mac Orlan. Le titre est lancé et utilise trois ingrédients pour s'assurer le succès : faits divers sanglants, bons auteurs, et force de frappe de la photographie, alors en plein essor. Sur le lieu des enquêtes, sont toujours dépêchés un duo journaliste-photographe, et les articles sont signés à deux.
Au long des années 30, Détective va donc être le témoin des grands crimes de l'époque : l'affaire Staviski, le parricide de Violette Nozière, le crime des soeurs Papin... Et envoye ses journalistes faire des reportages sensationnels au long cours : dans les bagnes, les prisons, à l'étranger.
Cependant, très vite, le rapport au réel s'encanaille, avec une équipe de rédaction tentée par l'invention, tout d'abord pour la blague, puis dans un but de réduction des coûts.
Certaines photographies spectaculaires sont des montages rejoués bien loin des lieux du crime, des reportages trop scandaleux donnent lieu à investigation des forces publiques et révèlent des supercheries, d'autres sont édités dans la collection "romans" de Gallimard, révélant par là leur aspect fictionnel. Lorsqu'à la fin des années 30, Détective vend moins, le journal se tourne vers l'ésotérisme, indémontrable, mais peu coûteux. En 1939, les locaux sont pillés par les allemands, les très riches archives photographiques disparaissent. Si la revue reparaît après-guerre, elle est différente, et très rapidement revendue par Gallimard.

C'est essentiellement à cette première période de Détective que s'intéresse l'exposition, en nous montrant les premières pages de journal, et en revenant sur les affaires célèbres. On découvre l'ambiance d'une rédaction de journal à l'époque, le travail des journalistes (machines à écrire, cartes de presse et tuyaux donnés au téléphone), des photographes (Rolleiflex et retouches photographiques faites à la main). Tout cela constitue une excellente histoire en soi, que les nombreux documents présentés contribuent à illustrer.
On pourrait regretter une forme de manque de suivi de la problématique principale : l'exposition est essentiellement une exposition chronologique, où sont parsemées des mentions des inventions des auteurs-phares. Cependant, l'ensemble est si riche que ce traitement semble compréhensible, et on n'en sortira pas moins saisi par la vigueur de l'imaginaire criminel de la revue.
Ne pas manquer l'occasion de faire un tour dans la bibliothèque elle-même.


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Détective : Fabrique de crimes, 
20 janvier-1er avril 2017, à la BiLiPo,
48, rue du Cardinal Lemoine, Paris 5e.

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