mercredi 31 mai 2017

Choses vues et lues, mai 2017

C'est mai.


Des livres :


La colline des potences, Dorothy M. Johnson
Jeune ignorante, tu ne savais pas qu'à la source des westerns avec John Wayne le dur à cuire, et les beaux plans de John Ford en Cinémascope, il y avait Dorothy M. Johnson, journaliste indépendante, qui entre 1935 et 1955 a publié quelques-unes des plus belles histoires de western qui soient.
Heureusement Gallmeister est là pour rappeler les bonnes choses aux mécréantes dans ton genre, et sous la forme de deux recueils (La colline des potences, Contrée indienne), tu pourras découvrir l'âpreté de la vie américaine de la fin du XIXe siècle, ses personnages touchants, glorieux dans leur humanité, et son quotidien aux dimensions mythologiques.
Il reste à lire Contrée Indienne.


Corps pour corps : Enquête sur la sorcellerie dans le bocage, Jeanne Favret Saada
On y reviendra, mais en ce moment, je lis les écrits de Jeanne Favret-Saada autour du travail anthropologique Les mots, la morts, les sorts, dans lequel elle s'installait en Mayenne avec ses enfants pour enquêter sur la sorcellerie paysanne. Le titre mentionné ci-dessus constitue son journal d'enquête, et Désorceler, le récit de la cure entreprise avec sa magicienne, Madame Flora.
Pour résumer : Lovecraft, mais avec des paysans français.





Dangerous women, anthologie dirigée par Gardner Dozois et George R. R. Martin
Chais pas pourquoi j'ai lu ça. Il s'agit d'un recueil de grands auteurs de genre américains qui ont refilé des nouvelles typiques de leurs univers respectifs (pour ne pas trop perturber les fans) en espérant que ça colle à peu près à la thématique. On m'a dit il y a quelques jours qu'il n'y a rien de plus difficile à réussir qu'une anthologie, et je suis prête à le croire. Les deux gros volumes contiennent cependant quelques nouvelles intéressantes (Joe Lansdale, Pat Cadigan, Megan Lindholm et Megan Abbott font à peu près le boulot sans tomber dans la négation de la consigne ou le cliché rabâché).



Angle mort #11
Que mille pluies acides s'abattent sur moi, que des mille-pattes venimeux choient sur ma toîture et que mon ventilateur tombe en panne pour me punir de mon manque de constance face aux pourtant très chouettes sélections de nouvelles d'Angle Mort. Ce numéro contient donc une science fantastique nouvelle de Sofia Samatar, un échantillon du travail de Jean-Luc André d'Asciano plein de désespoir poétique, une bizarrerie cubique d'Adam-Troy Castro, une nouvelle bionique de Sarah Pinsker. Toutes dépeignent l'inquiétant futur avec une grande originalité, et seront difficile à oublier.
Angle Mort, c'est à lire absolument.


Je voulais aussi lire Gay Talese et Robert Louis Stevenson, mais j'étais trop occupée à errer dans Epinal.


Des bandes dessinées :

Des croûtes au coin des yeux, volume 2, Tanxx et Pause de Fabcaro
On peut grogner, mais si j'en parle indisctinctement, c'est parce que ces deux excellents auteurs semblent avoir des références et des postures souvent semblables, avec le même lectorat.
Dans Pause, Fabcaro réjouit avec son quotidien marqué par son introversion et ses angoisses. Comme d'habitude, il est grandiloquent comme un hyperstressé par la vie peut l'être, dans l'ilôt de normalité que constitue sa petite famille, spectratice amusée de ses minuscules mésaventures. Tanxx régale quand à elle en se livrant à des réflexions sur la création artistique et la place de l'artiste dans la société entremêlées là aussi d'instants de sa vie bordelaise.



Judette Camion, Jeanne Puchol, Anne Baraou
Jeanne Puchol n'est pas qu'une autrice féministe ayant à coeur de proposer des bandes dessinées historiques intelligentes. A ses débuts, elle était au dessin de ce projet étonnant, qui partage bien des similarités avec Fabcaro et Tanxx, en terme de description du quotidien : Judette Camion est une jeune parisienne douée en informatique, en bricolage et en natation, qui mène sa petite vie avec un conjoint bienveillant, et s'interroge sans cesse sur la place que la société lui réserve. Pleine d'inventivité et très moderne, malgré son charme, cette courte série (2 tomes), n'a cependant pas connu le succès. On la trouve dans quelques bacs d'occasion, le premier tome est particulièrement réussi, et le dessin délié et énergique de Jeanne Puchol est une joie.


La main du peintre, Maria Luque
Si comme moi, tu ne connais pas Maria Luque, va vite, vite faire un tour sur le site de l'Agrume ou son Instagram, car cette illustratrice au dessin enfantin mais aux mises en couleurs épiques mérite un coup d'oeil. Dans La Main du peintre, son alter égo narratif se trouve au prise avec le fantôme du peintre argentin Candido Lopez, qui a perdu sa main lors de la Guerre du Paraguay, vers 1870, et la charge de réaliser les dessins qu'il n'a pu terminer. Si la violence des batailles est bien présente, l'amitié des deux personnages principaux est pleine d'humour, et une petite partie du récit permet de suivre le quotidien de l'illustratrice, de boutique de pinceaux en festivals de fanzine.



Et l'artiste : Aline Zalko, brillante praticienne de la gouache et des crayons de couleurs, au style si facilement reconnaissable, qu'on voit régulièrement, ces temps-ci, illustrer journaux et magazine.

jeudi 18 mai 2017

Choses lues et vues, printemps 2017

...Oui, égarements.



Mais nous y voilà, quand même :



Aventuriers du monde, Pierre Fournié
 Lu par hasard, un gros livre plein de photographies tirées des collections du musée du Quai Branly, du Musée de la Marine ou de la BNF, dont le propos est de retracer la politique de conquête de territoires par la France du XIXe siècle à la veille de la première guerre mondiale. Sujet qui pourrait être traité uniquement comme un fantasme de papy qui lisait des journeaux d'aventures dans son jeune âge - et qui permet d'aligner le vocabulaire assorti "têtes brûlées", "folles épopées", "hommes en quête d'absolu". Même si le livre nous présente lesdits aventuriers sous un jour très romanesque (certains d'entre eux ont droit à de de courts récits par des écrivains de voyage, pas la meilleure partie du livre), et joue à fond la carte du dépaysement suranné avec les fameuses photographies, il a le mérite de présenter de manière accessible cette course à la description géographique, et plus sinistrement, à la constitution de colonies.



Le langage de la nuit, Ursula K. Le Guin 
Encore un livre attirant des Forges de Vulcain, qui nous a déjà gratifiés de Charles Yu, de William Morris, et de Robert Mayer. Ce recueil rassemble différentes conférences, articles et avant-propos rédigés par Ursula K. Le Guin dans sa carrière. Ils abordent le sujet de la fantasy, de sa réception et de son écriture. Si quelques uns sont un peu datés, les sujets abordés présentent parfois un réél intérêt : les questions autour de la constitution des mondes de fantasy, ou de l'écriture des personnages, telles que traitées par Le Guin, sont particulièrement stimulantes, et permettent de mieux comprendre son travail d'auteur.
Son opinion sur la critique de livres mérite le détour.



Soft City, Hariton Pushwagner
Les  éditions Inculte ont choisi d'éditer une bande dessinée très curieuse, qui traîne derrière elle une "légende noire" : créée dans les 70's lorsque son auteur, l'artiste contemporain Hariton Pushwagner était tout jeune ; Lue à ce moment-là par des créateurs comme Burroughs ou Pete Townshend (rencontrés dans les bars où Pushwagner traînait), elle aurait disparu dans les 80's pour réapparaître dans un grenier en 2000. Soft City est un cauchemar dystopique à la Ballard ou à la Orange mécanique, servi par un dessin faussement maladroit qui nous entraîne dans d'étourdissantes perspectives urbaines. Dans Soft City, toutes les familles se ressemblent et se droguent pour supporter le quotidien, tous les pères ont la même voiture, et chaque jour ressemble au lendemain.


Pourquoi faut-il penser à nettoyer son aquarium, et
Que s'est-il passé à Pont-St-Esprit, Amandine Ciosi 
J'éprouve une grande fascination pour Ion éditions, éditeur angoumoisin fanatique de dessin expérimental et d'illustrateurs inventifs. Cependant, il s'agit d'expérimenter le langage graphique du dessin. En conséquence, les trames narratives sont perturbées ou absentes.
Une fois ceci admis, on s'amusera beaucoup avec les oeuvres d'Amandine Ciosi, coloriste brillante, spécialiste du non-sens et des crayons de couleurs. Le premier ouvrage est une dinguerie colorée dans laquelle un aquarium sale se trouve envahi par les membres d'un cirque aquatique. Lesquels se livrent immédiatement à des acrobaties avec plantes et poissons. Le deuxième nous raconte en noir et blanc la fameuse histoire du pain maudit de Pont-St-Esprit, où la CIA aurait expérimenté en 1951 du LSD sur les habitants de ce petit village du Gard. On ne saura pas ce qui s'y est vraiment passé, mais Ciosi s'inspire de vieilles photos pour croquer une France campagnarde surréaliste. J'aime donc beaucoup Amandine Ciosi, et alors que je la découvre tout juste, c'est avec une grande peine que j'apprends son récent décès.
On trouvera d'autres réalisations de sa main chez l'éditeur Misma.


Des films :

The lost city of Z, James Gray
Je fais partie de ces français qui aiment James Gray (ou qui aiment son directeur de la photographie), et comme je suis aussi particulièrement sensible aux récits de quête archéologique, on se doute que j'attendais ce film avec appréhension. Et finalement, l'histoire nous emmène ailleurs, là où Percy Fawcett fuit la vie Londonienne. Ce film raconte une quête spirituelle. L'image est luxuriante et superbe.

Grave, Claudia Ducournau
L'horreur française va bien, merci, avec cette prenante histoire de jeune étudiante vétérinaire qui se découvre de plus en plus attirée par ses congénères, et sombre peu à peu dans le cannibalisme. Paradoxalement, Ducournau ne joue pas la surenchère gore, et ce qu'on voit est nécessaire pour donner du sens, et jouer avec le spectateur.
Le film est malin tout du long, la dernière scène est décevante (très anecdotique, comme la fin obligatoire d'un vieux Buffy).

 The Lunchbox, Ritesh Batra
"- C'est l'histoire d'Ilah Singh, une femme mariée qui se fait tromper et qui essaye de regagner son mari en lui faisant livrer ses meilleurs petits plats le midi. Mais le livreur se trompe et la bonne cuisine atterit sur le bureau de Sajaan Fernandez, qui part en pré-retraite dans un mois...
- Ohlala ! Je m'y vois tout de suite ! C'est un indien, ça chante ça danse et ils s'aiment à la fin !
- Et bien, ça aurait pu, et le distributeur l'a marketé comme ça, mais en fait, pas du tout. Ilah et Sajaan sont de magnifiques personnages, séparément, et entament une correspondance dans laquelle ils s'entraident et se donnent des conseils. L'amour est abordé, mais ce n'est pas l'option que choisit le film, qui préfère dénouer les clichés traditionnels de la relation amoureuse, et libérer ses personnages."
C'est très touchant (et ça donne faim).


L'illustrateur : Bazooka, groupe de graphistes punks chouettes.


dimanche 7 mai 2017

On l'appelle Jeeg Robot, Gabriele Mainetti

Prenons un peu de bon temps cinématographique, et parlons de films de super-héros, avec l'italien On l'appelle Jeeg Robot (Lo chiavamavano Jeeg Robot en VO, évocation d'un autre film d'anti-héros burlesque, Trinita*).
Dans ce film italien sorti en 2015, qui a reçu un bon nombre de récompenses dans son pays et réjoui le public d'un certain nombre de festivals européens, nous suivons les aventures d'Enzo Ceccotti, petit voyou de la banlieue de Rome dont le loisir central est le visionnage de films pornos en mangeant des crèmes vanilles.


Enzo est poursuivi sur les bords du Tibre par la police et plonge dans les eaux pour leur échapper. Il entre alors en contact avec un baril d'un agent chimique inconnu** et rentre misérablement chez lui, en toussant et en gémissant. Lorsqu'il se réveille le lendemain, il est devenu surhomme à la force physique démesurée, talent qu'il met à profit dans ses larcins.
Quand une série d'évènements place sous sa protection une jeune femme atteinte de troubles psychiques, qui confond le réél et l'animé Jeeg Robot (et le prend donc aussitôt pour le héros de l'histoire), Enzo commence un cheminement qui l'amènera à l'héroïsme.
Cette intrigue pourrait être simplette si le film ne jouait pas en permanence sur l'alternance des registres réalistes et parodiques. La banlieue romaine et ses mafieux sont sordides, mais le grand méchant est un bellâtre ancien de la télé-réalité qui éprouve une passion pour les chansons romantiques des années 70. Le héros est un anti-héros pur jus, dont l'appartement est glauque à un niveau rarement atteint, qui n'hésite pas à se salir les mains, et porte le poids d'une mélancolie solitaire et romanesque. Alessia, la jeune fille en détresse, est à la fois personnage romantique et incarnation de l'innocence enfantine (ce parti-pris est parfois dérangeant).
L'équilibre précaire entre culture pop et réalisme à l'italienne fonctionne bien, et la transposition de l'univers des super-héros dans la banlieue romaine réserve quelques beaux moments, dont un match de foot Rome-Lazio*** fortement perturbé, un hold-up "à la main" d'un camion de transport de fonds...
L'ensemble est particulièrement réjouissant, même si je regrette la gestion des personnages féminins (on ne se refait pas), qui connaissent des situations particulièrement déplaisantes.
Sinon, on s'amuse bien, et l'hommage rendu à ces animés que les générations 80-90 ont regardé enfants est plutôt touchant.

On l'appelle Jeeg Robot, Gabriele Mainetti, 2016.

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*TMTC comme ils disent, les jeunes
**et qui n'est pas l'agent chimique X ! Mais qui pourrait. 
***on m'informe que c'est la même équipe. La balle au pied, vaste territoire inexploré de nos aïeux...